En 2015, pour la première fois depuis trente ans, les ventes de bière ont enregistré une croissance de 3,1 % en volume. Une évolution portée par le boom des brasseries artisanales urbaines.
Tous les trois jours, une micro-brasserie s’ouvre en France. Plus qu’une tendance, il s’agit en réalité d’un juste retour aux sources. En effet, au début du XXe siècle, l’Hexagone compte environ trois mille brasseries, qui ferment les unes après les autres à cause des deux guerres et de l’industrialisation, au point que seule une vingtaine subsistent à la fin des années 1970. Le biérologue Hervé Marziou expose ainsi : « Nous assistons à une révolution, au sens cyclique du terme. Les dernières brasseries parisiennes ont fermé dans les années 1970. Le public est un peu nostalgique de ces bières, que les nouvelles brasseries remettent au goût du jour, en s’inspirant des brasseurs californiens des années 1960 et des bières canadiennes. »
Depuis le milieu des années 1980, le secteur connaît un nouvel essor avec la création de brasseries indépendantes qui revendiquent des spécificités régionales. « Historiquement, les principales régions productrices de bière étaient le Nord et l’Est. Aujourd’hui, les deux régions dans lesquelles il y a le plus grand nombre de brasseries sont Auvergne-Rhône-Alpes et la Bretagne », remarque Philippe Jugé, organisateur de Planète Bière, qui s’est tenu pour la troisième année consécutive, à Paris.
2015, année de la mousse
Selon l’annuaire professionnel de la Brasserie et de la Malterie de Robert Dutin, unique base statistique et chiffrée disponible en France, la seule année 2015 a vu s’ouvrir cent cinquante microbrasseries, pour seulement vingt fermetures. Et la consommation augmenter de 3,1 %, une première depuis trente ans. Une reprise portée par l’intérêt des Français pour la bière, dont l’image n’a de cesse de monter en gamme. Mais également par la vigueur des brasseries indépendantes, citées pour la première fois en tant que moteur de l’économie brassicole française.
Autre tendance : l’implantation et /ou le retour de nouvelles brasseries dans les grandes villes. Garlonn Kergourlay, déléguée générale du Syndicat national des brasseurs indépendants (SNBI), a suivi de près cette évolution. Après avoir travaillé à la Brasserie des Vignes, dans le Tarn, elle a participé à la création du syndicat, il y a un peu moins d’un an. Fort de 250 adhérents, le SNBI a pour vocation la défense des intérêts des brasseurs indépendants. « Les brasseries qui s’installent en ville ont, la plupart du temps, la volonté affichée de recréer du lien social. On peut ainsi échanger avec les brasseurs comme on peut discuter avec son boulanger », analyse Garlonn Kergourlay.
Gérer les contraintes urbaines
À l’appellation brasserie artisanale, les puristes préfèrent celle de brasserie indépendante. « La notion d’artisanat est très relative, si l’on prend l’exemple du rachat de la brasserie belge Mort Subite par Heineken. Peut-on encore parler d’artisanat ? », s’interroge Christophe Fargier, fondateur de la brasserie indépendante lyonnaise Ninkasi. Pour rappel, l’appellation brasserie indépendante concerne celles dont la production n’excède pas 200 000 hectolitres de bière par an en propre. En théorie, le terme « artisanal » est délivré après un délai de trois années suivant la création de la brasserie. « Selon les derniers chiffres, la part de marché occupée par les brasseries indépendantes approche les 5 %, précise Hervé Marziou. Même si les brasseries industrielles restent en position dominante, elles ne peuvent plus ignorer les plus petites brasseries, qui affichent une grande créativité. »
De l’expérimentation incertaine et divertissante à la création de commerces, le marché se structure progressivement, plus particulièrement au sein des agglomérations. Pourquoi donc un tel engouement ? D’aucuns en font un argument marketing doublé d’une stratégie commerciale, afin de toucher une clientèle urbaine, plus aisée et plus fidèle. L’installation de brasseries dans les villes n’est pourtant pas dénuée de contraintes : gestion des rejets des drêches (résidus liés au brassage des céréales), prix de l’immobilier ou encore qualité de l’eau. Un vrai écueil, car l’eau, ingrédient principal de la bière, est souvent très calcaire en ville. Afin de trouver des solutions et de conseiller les brasseries urbaines, l’association Zone-AH ! a imaginé le projet ZéBU (pour Zone d’étude écosystémique sur le métabolisme des Brasseries urbaines). « Notre objectif est de développer une filière coopérative au coeur de l’agglomération parisienne pour gérer, en particulier, les déchets des brasseries et leurs coproduits, les drêches, détaille Bruno Vitasse, directeur de l’association. Aujourd’hui, le brasseur doit payer pour se débarrasser de ses déchets et les valoriser. Or ces déchets doivent s’inscrire dans une chaîne de valeur, pour produire des biomatériaux, servir aux agriculteurs ou encore pour la production d’énergie (biométhanisation) ».
Pour autant, la tendance au retour en ville des brasseries n’est pas générale, certains brasseurs préférant nettement la campagne, allant même jusqu’à refuser de participer à des salons qu’ils jugent trop urbains ! Illustrant ainsi toute la richesse et la diversité du secteur, qui brasse tous les styles et répond à tous les goûts.
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