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Contre les évidences – et les résultats d’une étude indépendante – le cimentier conteste être à l’origine des poussières qui recouvrent les environs de son usine implantée dans la vallée de l’Azergues. Sur place, la grogne monte.

Photo d’illustration. Crédit photo : Emilian Robert Vicol

Il neige sur la vallée de l’Azergues. Depuis l’été 2016, dans ce décor champêtre à une vingtaine de kilomètres de Lyon, un manteau blanchâtre recouvre par intermittence les toits, les voitures, la végétation, et irrite particulièrement les habitants des environs. Pour eux, l’origine de cet « enneigement » ne fait pas l’ombre d’un doute : en contrebas du bourg de Belmont-d’Azergues, une fumée blanche émane de la grande cheminée de la cimenterie Lafarge.

Implantée là depuis 1962, Lafarge de Val d’Azergues fait partie du paysage. Le site se partage entre une carrière et une usine dédiée à la production de ciment. Il emploie près de 80 salariés et sa production annuelle s’élève à environ 400 000 tonnes, dans la moyenne des sites du groupe. A Belmont, Lozanne ou Châtillon-d’Azergues, les communes alentour, bon nombre de familles compte un membre ou un voisin qui travaille chez Lafarge. D’ailleurs, dans ces villages, une partie des logements ont initialement été construits pour les employés de l’usine. A Belmont, l’arrivée du cimentier dans les années 1960 avait tout bonnement doublé les effectifs de la bourgade. Et jusqu’à peu, personne ne se plaignait du site industriel. Mais les choses ont changé…

« J’AI ENVOYÉ LA FACTURE À LAFARGE, ILS NE M’ONT JAMAIS RÉPONDU…»

« J’habite à Belmont depuis plus de trente ans et il y a souvent eu des dépôts du côté de l’usine. Mais c’est vrai que depuis deux ans, les problèmes se sont accentués », observe le maire de la commune Jean-Luc Tricot, pourtant réputé bienveillant à l’égard de l’industriel. Une soixantaine de personnes sont venues se plaindre en mairie. « Je les transfère directement au directeur de Lafarge », lâche l’élu. Même son de cloche chez son homologue de Lozanne. « Depuis deux ans, je reçois des gens excédés par les poussières blanchâtres. Quand il y a de la rosée, ça colle particulièrement sur les voitures », raconte le maire Christian Gallet. Lui-même en a fait les frais au moment de revendre son véhicule : « La carrosserie était toute rayée alors que je la lavais deux fois par semaine ! Cela m’a valu plus de 1000 euros de décote. J’ai envoyé la facture à Lafarge, ils ne m’ont jamais répondu…. » Et pour cause ! Le cimentier refuse de reconnaître sa responsabilité. « Nous devons rester prudent quant aux causes de cette pollution. Faites analyser n’importe quelle terre sur Lozanne, vous y trouverez de la silice [un des composants du ciment] », assénait, en décembre 2016, le directeur de l’usine Thomas de Charette à l’occasion d’une réunion publique.

Plusieurs mois plus tard, le responsable de Lafarge reçoit sur le site Mediacités. Il ressort la même ligne de défense : « J’émets un doute sur l’origine de ces dépôts de poussières. Il ne faut pas négliger l’effet de la circulation, du chauffage individuel et des autres industries ». Et qu’importe si la direction de Lafarge se contredit elle-même en distribuant aux riverains les plus mécontents bâches, jetons de lavage pour voitures et autres produits d’entretien ! Qu’importe aussi, si des prélèvements effectués par Air Rhône-Alpes entre mai 2015 et janvier 2016 enregistraient des pics de particules PM10 plus élevés qu’ailleurs dans le secteur du Pont-de-Dorieux, à proximité de l’usine. L’observatoire de surveillance de la qualité de l’air concluait à « l’influence probable de la cimenterie, et très ponctuellement de la carrière ». « Depuis toujours nous brûlons à 2000 degrés des déchets industriels (…) mais aucune particule ne ressort de la cheminée.

Nous disposons à sa sortie, d’un filtre électrostatique et en amont d’un capteur qui arrêterait l’installation », défend sans sourciller Thomas de Charette.

Une communication en béton

Décidément pas à une contradiction près, Lafarge a procédé en début d’année 2017 au remplacement d’un filtre sur le refroidisseur du site. « Cela s’inscrit dans un programme de modernisation des usines Lafarge, précise le directeur, et va nous permettre d’être plus performant et de réduire la poussière, même si le précédent filtre remplissait son rôle. » L’opération coûte tout de même 4,5 millions d’euros. Pas vraiment donné pour mettre au rebut une pièce « qui remplissait son rôle »…

Photo d'illustration/LifeofpixPhoto d’illustration/Life of Pix

La communication en béton de Thomas de Charette, le maire Christian Gallet a bien du mal à l’avaler. Avec l’un de ses administrés, Guy Deschamps, brocanteur à la retraite, il a créé le collectif de Lozanne. Leur but : que Lafarge reconnaisse enfin sa responsabilité et paie les dégâts. La première manche s’est jouée en septembre dernier. Face à la recrudescence des plaintes de riverains, Lafarge informe la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), service de l’Etat qui a notamment pour mission la protection de l’environnement et la surveillance des sites industriels. « La cause avancée alors était les conditions climatiques particulières : sécheresse depuis plusieurs semaines et rafales de vents violentes qui auraient pu remettre en suspension des poussières et les disperser dans un rayon plus important qu’habituellement », confie-t-on à la préfecture du Rhône. Suite à cette alerte, la Dreal décide d’un « plan d’action » : des jauges sont disposées tout autour de l’usine depuis janvier dernier. Elles permettront de déterminer la quantité et la nature des rejets après analyse chimique. Résultats promis pour cet été.

La deuxième manche a eu lieu en février dernier. Pour 2300 euros, la commune de Lozanne s’est offert les services d’un laboratoire indépendant, le LERM (Laboratoire d’études et de recherches sur les matériaux). L’étude effectuée sur un échantillon de poussières prélevées dans la vallée de l’Azergues contient à plus de 50% des grains de clicker, un des composants du ciment, tout comme des grains siliceux identifiés également par le LERM. Las ! Le directeur de Lafarge balaie d’un revers de la main les résultats. Seule l’étude de la Dreal fera foi pour toutes les parties.

Analyses LERM:Lafarge

« J’AI ÉTÉ HOSPITALISÉE EN NOVEMBRE ET SUIS RESTÉE SOUS OXYGÈNE JUSQU’À FIN JANVIER »

En attendant, les habitants trépignent. Fin mars, le collectif de Lozanne les convie à une réunion publique. Tension palpable : les organisateurs n’ont pas souhaité que Thomas de Charette ou tout autre représentant de Lafarge soit présent, alors même que le directeur désirait participer à la rencontre. Dans la salle, les invectives fusent : « Marre de cette poussière collante ! » ; « On veut que ça s’arrête maintenant et pas dans 10 ans ! ». Les discussions abordent rapidement le risque sanitaire. « J’ai été hospitalisée en novembre et suis restée sous oxygène jusqu’à fin janvier », témoigne une habitante qui souffre d’asthme. Là aussi, Thomas de Charette a réponse à tout : « Les plus exposés sont les ouvriers. Or, le personnel est suivi par le même médecin du travail depuis 30 ans et aucune maladie particulière n’a été constatée », déclarait-il dans son bureau, quelques heures avant la réunion publique. Qu’en disent les principaux intéressés ? Rien… Il règne comme un parfum d’omerta parmi les employés de l’usine que nous avons tenté de contacter par divers biais. Ils ont reçu des consignes, assure le maire de Lozanne Christian Gallet : « Un ouvrier m’a confié qu’il ne pouvait pas me parler sous peine de se faire licencier ! ».

Impossible en l’état actuel des études de déterminer l’impact sanitaire de la pollution émise par l’usine Lafarge et notamment des fameuses particules PM10 considérées comme des « grosses poussières ». « Celles-ci n’ont a priori pas de conséquences notables sur la santé car elles ne peuvent pas pénétrer dans les poumons. Elles s’arrêtent au niveau du nez et peuvent occasionner une gêne chez les personnes sujettes aux rhinites ou être irritantes pour les yeux, confie à Mediacités la biologiste Francelyne Marano, vice-présidente du Haut-conseil de la santé publique. Pour une étude plus poussée, il faudrait effectuer sur les prélèvements de poussières des mesures granulométriques afin d’analyser s’il existe une fraction de poussières fines [PM2,5] qui, elles, pourraient atteindre les alvéoles des poumons. Sous forme de quartz, la silice cristalline peut poser problème si elle s’accumule sur le long terme. »

Procédure judiciaire en vue

Quoi qu’il en soit, Thomas de Charette ne ménage pas sa peine pour éteindre la grogne des riverains. Le 15 mai dernier, lors d’une nouvelle réunion publique organisée à Belmont-d’Azergues et à laquelle sa présence était cette fois-ci acceptée, le directeur les invitait à venir visiter son usine. Pas sûr que cela suffise… Au nom du collectif de Lozanne, Guy Deschamps a envoyé un nouveau courrier à l’Agence régionale de santé, le 22 mai, dans lequel il réclame une intervention sanitaire. De son côté, Henri-Michel Comet, le nouveau préfet du Rhône, a renvoyé les sollicitations des riverains auprès de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), laquelle a transféré la demande à la Dreal… la boucle est bouclée. Enfin, le collectif compte rapidement s’allier à une association nationale pour lancer une procédure en justice. Objectif : obtenir des dédommagements de la part de Lafarge pour les dégradations matérielles – voire pour les atteintes à la santé des habitants. L’affaire des poussières de l’Azergues ne fait que commencer.

 

Article publié le 28 mai 2017 sur Mediacités.

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